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Michel TANNER (24 août 1949 - 23 mai 2022)

A l'automne 68, un nouveau visage fait son apparition dans notre club, aux Excurs Marseillais. Grand, des cheveux châtains et bouclés, un menton volontaire et des lunettes qu'il tripote nerveusement, le « nouveau » affecte de s'intéresser aux décorations murales, mais il lorgne de manière ostentatoire vers notre groupe turbulent. Pour finir, il s'approche de nous et se présente : Michel Tanner. Emotion et curiosité. On a tous gravi des voies Tanner, celles de Bartagne en particulier, elles suscitent respect et admiration. On est tous fans du chef d'oeuvre du Grec, « Au-delà de la verticale », et c'est toi Jeff qui lui posera la question : « C'est vrai que le poids de tes parents ne dépassait pas le quintal ? » Et pour moi, c'est le début d'une cordée et surtout d'une amitié d'une vie.
Dans notre petit groupe, il n'y a pas la moindre trace de cette compétition malsaine, celle qui pollue les rapports humains, seulement une forte émulation, les relations entre nous étant d'abord dictées par l'amitié. Mon seul regret est que tu aies si brièvement exercé tes fantastiques talents de grimpeur.  Pourtant, j'ai du mal à oublier ce sourire radieux que tu avais quand tu as débarqué aux allées Léon Gambetta, tout droit sorti du goulag mathématique des prépas du Lycée Thiers.
Comment voudrais-tu que j'oublie cette proposition que tu m'avais faite – tu ne grimpais que depuis six mois ! – de gravir l'été suivant le pilier Bonatti aux Drus ! J'ai pensé « il est barje ce mec » mais je t'ai répondu « oui » tout de suite. Comment pourrais-je oublier la manière éblouissante dont tu avais franchi en plein hiver le départ de l'Epaule à Bartagne, 6c, un seul clou à 10 m du sol (au lieu des 3 habituels) avec chute sur des blocs ; 50 cm de neige fraîche et une température en dessous de 0° ! Quant à la Castapiagne, là c'était du génie pur : cette idée futuriste d'utiliser des plombs de pêche pour franchir le passage-clé ! Là encore tu étais le pionnier dont tous les « artificiers » modernes s'inspirent : désormais, aucun spécialiste ne s'embarque dans un grand voyage en artif sans son assortiment de plombs de pêche !
Tout ça c'est du passé, un passé certes profondément vivant en moi, en nous ; il nous reste les souvenirs lumineux que tu nous laisses… et aussi un grand vide !